Bernard DuguéMonsieur Bernard Dugué, Ingénieur des Mines de Saint Etienne, docteur en pharmacologie, docteur en philosophie. Ancien enseignant-chercheur en biologie à l’Université de Bordeaux 2. Chercheur pluridisciplinaires dont les centres d’intérêt couvrent la systémique, la biologie théorique, l’ontologie, la philosophie et la physique théorique, nous a fait le plaisir de répondre à nos questions sur le rapport aux études supérieures et au travail pour les individus atypiques.

Monsieur Dugué, considérez-vous qu’être surdoué en France est un plus pour étudier et trouver un travail ?

Je n’interviens pas à titre de représentant du « surdoué type » qui du reste n’existe pas car le propre du surdoué est d’échapper aux normes statistiques. Je propose ainsi une opinion philosophique découlant d’une expérience personnelle en n’ayant aucune prétention généraliste même si l’intention y est présente. Les surdoués précoces semblent avoir des difficultés pour apprendre dans le primaire et le secondaire. Un « surdoué modéré » aura plus de facilité pour étudier, depuis le primaire jusqu’à l’université ou les classes préparatoires. Il saura se faire apprécier par un employeur mais s’il penche vers l’atypisme, il aura quelques difficultés à rester dans un travail qui ne lui permet pas de développer les talents qu’il possède en germe. Tout dépend du profil du surdoué. Les uns peuvent avancer rapidement et trouver succès et estime dans le milieu professionnel qui les a accueilli, alors que d’autres seront plus enclins à papillonner et vivre de manière décalée car ils ne trouvent pas de lieu pour exceller et parfois ne se trouvent pas eux-mêmes.

Bernard Dugué, les études universitaires sont-elles faites pour des personnes atypiques surdouées ?

Je n’ai pas beaucoup fréquenté l’université mais je pense qu’un surdoué saura tirer profit des enseignements qui lui sont proposés, quitte à suivre plus d’un cursus dans des disciplines éloignées, sans oublier la curiosité autodidacte qui le poussera à étudier des ouvrages qui ne sont pas conseillés par le corps professoral. Je connais mieux le système des classes préparatoires qui, par ses exigences et son niveau, me paraît mieux ajusté pour les surdoués, notamment parce qu’il est assez contraignant et permet de corriger certains défauts propres au surdoué comme le dilettantisme.

Comment envisagez-vous un cursus universitaire adapté aux différences de cognition ?

Il n’y a pas de système d’enseignement idéal. Sauf un impératif d’excellence dans les contenus et les méthodes. Après, c’est une question de stratégie et d’intérêt que le corps professoral peut nourrir à l’égard des étudiants atypiques qui dans le système français, peuvent se sentir à l’étroit alors que le système anglo-saxon offre plus d’autonomie et de marge de manœuvre, aux étudiants à qui il est demandé de se prendre en charge avec un travail personnel conséquent. Cet aspect n’est pas mis en pratique par l’université française qui semble privilégier une approche pédagogique assez scolaire. L’université ne doit pas être une classe de terminale supérieure, mais un levier pour permettre le développement des aptitudes créatives, ainsi que l’intelligence des choses et des idées.

Monsieur Dugué, qui selon vous décide de la politique d’enseignement supérieur en France ?

Les rouages de l’enseignement supérieur sont complexes. La politique d’enseignement relève à la fois des universités disposant d’une autonomie, mais aussi des instances nationales dépendant du ministère, et qui sont habilitées à délivrer des accréditations pour les formations dispensées dans les facultés. Il y a ensuite les écoles doctorales, qui gèrent les contenus pédagogiques dispensés dans les masters, ainsi que la formation des futurs docteurs dans une spécialité. Ces écoles reçoivent également des accréditations. D’autres instances comme l’AERES devenue le HCERES ou le Conseil stratégique de la recherche, supervisent les orientations prises par les chercheurs, mais aussi la ventilation des moyens financiers en évaluant les publications dans les revues de référence. Sans oublier les réunions du CNU qui gèrent les carrières, tout en qualifiant les docteurs pour les candidatures aux postes d’enseignants-chercheurs. Je sais par expérience que les candidats atypiques sont vite refoulés. Au final, le système français de la recherche et de l’enseignement est bien formaté, sans aspérité et sans doute trop bureaucratisé, ce qui produit des dérives chronophages, si bien que les universitaires passent beaucoup trop de temps dans des tâches administratives.

Que faut-il changer pour améliorer ce que propose l’enseignement supérieur et la recherche en France ?

Beaucoup trop de choses pour que ce soit réalisable. Il faudrait surtout limiter l’impact des bureaucraties, et en finir avec le statut formaté et unique de l’enseignant-chercheur. On ne fait pas de la même manière une recherche en mathématique, en mécanique, en astrophysique, en biologie ou en sciences humaines. Et c’est le même constat pour l’enseignement. Ce qui fait cruellement défaut, c’est la souplesse et la plasticité. L’égalitarisme à la française n’est pas compatible avec la diversité et la créativité conduisant vers l’excellence d’une recherche, qui non seulement cherche mais aussi trouve. Si une chose devait commencer par changer, c’est le regard porté par le corps enseignant sur les surdoués. Ces individus atypiques sont-ils accueillis avec bienveillance ? Je n’en suis pas certain. Surtout dans les écoles doctorales et la suite du parcours, pour autant qu’il y ait une suite. Les atypiques sont considérés comme « ingérables » alors bien souvent, les directeurs de recherche préfèrent intégrer dans leur équipe des étudiants assez standard capables d’effectuer les travaux de recherche sans trop réfléchir sur le sens de ces recherches.

Bernard Dugué, changer l’enseignement universitaire et la recherche pour l’adapter aux surdoués et atypiques correspond-t-il à l’intérêt général ?

A mon sens, ce qu’il faut changer en premier lieu, c’est le regard porté par le système sur les atypiques et les surdoués. Car une chose est certaine, tous les grands noms de la science et de la philosophie ont été des atypiques, comme du reste les inventeurs et autres ingénieurs dont les innovations ont bénéficié à l’ensemble de la société. Il faut laisser aux atypiques un champ ouvert pour qu’ils puissent donner le meilleur, au lieu de les intégrer et les utiliser comme une main d’œuvre pour enseigner et chercher. Il se peut même que l’encadrement par le système, soit préjudiciable à des recherches théoriques permettant de dépasser les conceptions maintenant usées de la modernité. Le chercheur atypique a besoin de prendre son envol. Une suggestion serait de créer dans chaque région un collège alternatif dont le principe serait calqué sur celui du Collège de France. Et qui serait une université citoyenne visant les savoirs nouveaux et l’excellence. Ce genre d’établissement pourrait ainsi dispenser des enseignements transdisciplinaires visant à développer l’esprit de synthèse, qu’on peut voir en germe chez nombre d’atypiques et de surdoués, dont la vocation n’est pas de se spécialiser dans un domaine précis, mais de construire des articulations et des ponts entre les savoirs. Les surdoués ont besoin d’enseignement leur permettant de développer leur créativité, non seulement pour trouver des solutions mais aussi pour poser des questions. Parmi les surdoués, certains ont la capacité d’être visionnaire, et l’on sait que l’intérêt général est le mieux servi, quand sont mobilisés les individus talentueux doués pour les savoir-faire et les visionnaires, qui savent ouvrir des chemins inédits.

Pour le dire ouvertement, ces nouveaux Collèges permettraient à des atypiques de poursuivre leur tâche et de former à leur tour d’autres surdoués et atypiques. Ce vœu est formulé dans un cadre historique incluant l’avenir qui verra une nouvelle connaissance émerger, dans le prolongement mais aussi en rupture avec les savoirs modernes.

Pour conclure, la manière de considérer les surdoués, atypiques et autres visionnaires repose sur un principe philosophique simple que Kant énonça, avec comme impératif de prendre l’homme comme une fin. Une société a tout à gagner en offrant aux surdoués un parcours et une place professionnelle. La France devrait penser à prendre ses distances face à un égalitarisme qui hélas est bien implanté, car il participe à la satisfaction des désirs narcissiques propres à notre époque.

Monsieur Bernard Dugué, merci d’avoir répondu à toutes nos questions.

Bernard Dugué, éléments biographiques

Bernard Dugué est diplômé dans plusieurs spécialités. Ingénieur des Mines de Saint Etienne, docteur en pharmacologie, docteur en philosophie. Il a été enseignant-chercheur en biologie à l’Université de Bordeaux 2. Puis s’est orienté vers des recherches pluridisciplinaires dont les centres d’intérêt couvrent la systémique, la biologie théorique, l’ontologie, la philosophie et la physique théorique. Il est aussi journaliste sur Agoravox pour lequel il a écrit quelque 1700 articles. Son dernier livre propose de revoir les questions sur la vie et son évolution en proposant une conception du vivant qui tranche avec les théories darwiniennes consensuelles.

Depuis deux ans, il s’est orienté vers la cosmologie quantique pour élaborer une nouvelle philosophie de la Nature. Ses recherches sont sur le point d’aboutir vers une interprétation inédite de la physique contemporaine. La vision qui se dégage est post-moderne dans la mesure où elle tranche avec la conception mécaniste, atomiste et objectiviste développée depuis trois siècles. Un essai est disponible pour être édité : Après Newton et Einstein, la cosmonadologie quantique*. Ainsi se dessine une trilogie couvrant la philosophie, la biologie et la physique. Une seconde trilogie est prévue avec cette fois une réflexion universelle permettant de relier la matière, la vie et la pensée au travers d’une philosophie qui en accord avec l’interprétation de la physique, scinde la nature en deux domaines ontologiques, l’un permettant la disposition, la gravité, l’action et l’autre servant à communiquer, informer.

Livres édités

L’expressionnisme ; prolégomènes à une métaphysique des temps nouveaux. L’Harmattan, 1998.

H1N1, la pandémie de la peur. Xenia éditions, 2009.

Le sacre du vivant ; essai post-darwinien sur l’essence de la vie et son évolution, Editions JMG le Temps présent, oct 2014.

* La cosmonadologie quantique, article paru dans le N° 10 de la revue Cerveau science conscience

Site internet de Monsieur Bernard Dugué : http://bdugue.typepad.com/

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