Planete douance2Transcription de l’entretien :

Planète-Douance : Béatrice Millêtre, bonjour.

Béatrice Millêtre : bonjour.

Planète-Douance : Béatrice Millêtre, vous êtes docteur en psychologie, psychothérapeute, vous êtes à l’origine d’un « petit guide à l’usage des parents qui trouvent que leurs enfants sont doués », et vous accompagnez les personnes à haut potentiel.

Béatrice Millêtre : oui, et il y a un autre livre qui est le » petit guide à l’usage des gens intelligents qui ne se trouvent pas très doués », pour les grandes personnes. Le même pour les grandes personnes.

Planète-Douance : Béatrice Millêtre, j’ai envie de vous poser une question qui est un peu difficile, c’est la définition actuelle de ce que l’on appelle la douance, est-ce que vous avez une réponse

Béatrice Millêtre : j’ai une réponse. Effectivement c’est une question un peu difficile, on est bien d’accord. C’est une question qui je crois trouve son origine il y a une centaine d’années dans l’élaboration du concept de l’intelligence, où à l’époque on s’est dit « qu’est-ce que c’est quelqu’un d’intelligent ? ». On est parti sur l’idée – mais il faut replacer ça dans le contexte actuel – qui était que les gens intelligents étaient ceux qui ont fait des études. Donc, on a pris leurs caractéristiques, on a dit ce sont des gens qui ont du vocabulaire, qui ont de la culture, qui savent raisonner, et ça a donné lieu au test de QI que l’on connait bien aujourd’hui, qui a été bien sûr réévalué, adapté au monde actuel, mais qui est resté un peu sur ces principes-là.

Et puis, fort de ça, on a dit que tous les gens qui avaient le plus haut score étaient des surdoués, puis tous ceux qui avaient le plus faible score par rapport à la moyenne et l’écart type de la moyenne seraient des déficients mentaux.

On est resté sur cette définition pendant longtemps jusqu’à que l’on se dise « mais finalement, ces gens-là acquièrent leurs compétences plutôt que les autres quand ils sont enfants ». On est passé au concept de l’enfant précoce. L’enfant précoce, finalement, il sait faire des choses avant ses congénères. Sauf que ses congénères vont savoir faire les mêmes choses, et que quand tout le monde sait faire les mêmes choses, on perd la différence. Et on s’est rendu compte que ce n’était pas le cas, et que, adulte, un enfant précoce gardait des différences par rapport aux autres.

Et donc, on est arrivé à la conception qui est un peu celle qui prévaut à l’heure actuelle de la douance, et plus généralement de ce que l’on a appelé le haut potentiel. Un haut potentiel, dans l’acception actuelle, doit avoir un haut QI et présenter des spécificités de fonctionnement qui sont ce que l’on appelle le fonctionnement intuitif. C’est-à-dire qu’il va avoir une vision globale, un raisonnement en arborescence. Il passe d’un sujet à un autre, puis à un autre, ce qui donne un peu la vision de quelqu’un qui papillonne, alors que ce n’est pas ça du tout. C’est quelqu’un qui sait faire plusieurs choses en même temps.

C’est un peu l’image que je prends toujours, celle d’Archimède dans sa baignoire. On a Archimède dans sa baignoire en train de réfléchir, à tout, à rien, à ses projets, il a tout un tas de connaissances – il a plein d’éléments scientifiques dans la tête – et ça turbine en bruit de fond, sans lui, en y pensant sans y penser encore une fois, et tout d’un coup ça fait Eureka ! C’est ça le surdoué finalement dans la conception actuelle. Par opposition au penseur de Rodin, qui pour arriver à la même conclusion qu’Archimède a besoin de se prendre la tête à deux mains, de fumer, et de mettre un pied devant l’autre.

Donc, d’un côté on a je dirais le raisonnement logico-mathématique séquentiel – d’un élément on déduit le suivant – et d’un autre côté on a Archimède avec sa vision panoramique. Voilà, pour poser les idées, c’est ça aujourd’hui le surdoué.

La difficulté, c’est que cela donne quelque chose de très différent. Si l’on imagine le dialogue entre Archimède et Descartes ou Archimède et le penseur de Rodin, ça va être « mais comment tu sais ton Eureka ? », « ben, j’sais pas, c’est évident, tout le monde le sait ! », et donc cela va donner lieu à tout un tas de problématique, non pas du point de vue de la grandeur de l’intelligence mais du point de vue de sa qualité. C’est vraiment un raisonnement à fonctionnement qui est complètement différent.

Planète-Douance : je vais rebondir donc sur ma deuxième question : comment va s’exprimer cette différence ? Quelles sont les caractéristiques fondamentales de cette différence ?

Béatrice Millêtre : fondamentalement, on a un fonctionnement qui est différent. C’est ce qui s’appelle le fonctionnement intuitif. Vous prenez en compte tous les éléments d’une problématique donnée, et ces éléments vont s’assembler en bruit de fond dans votre cerveau. Il y a besoin d’une phase de maturation, de repos, pour que les éléments du puzzle s’assemblent, et que le résultat affleure à votre conscience sous la forme d’une évidence, d’une intuition. Et ça, c’est vraiment la caractéristique principale dont vont découler tous les autres.

Donc, c’est ce raisonnement intuitif qui vraiment permet de caractériser un surdoué aujourd’hui. Par exemple, par opposition, en caricaturant et en étant un peu réductif : un polytechnicien n’est pas surdoué. Parce qu’il n’a pas cette caractéristique de fonctionnement, il a un raisonnement logico-mathématique séquentiel, en mettant un pied devant l’autre. Donc c’est ça aussi qui a permis de faire la distinction entre le QI et le surdouement aujourd’hui. Ça c’est vraiment la grande chose.

Ça veut dire ensuite : vous avez des gens, c’est vraiment les gens « je ne sais pas ». Vous leur posez une question, ben « je ne sais pas ». Parce qu’ils ont également les connaissances intuitives : ils ne savent pas ce qu’ils savent. Ils ne savent pas comment ils fonctionnent, ils ne savent pas grand-chose. La seule certitude c’est : « je sais plein de choses, j’arrive à plein de choses, mais je ne sais pas comment je fais et je ne sais pas ce que je suis ». C’est-à-dire que si vous prenez un jeu télévisé ou on pose des questions, vous avez un truc par équipe, on dit « qui était la femme d’Henri IV ? ». Vous en avez un qui dit « je ne sais pas, je n’ai pas appris ça à l’école ou je ne me souviens pas », et l’autre qui dit « ben je ne sais pas, euh je pense que c’est Catherine de Médicis ». L’autre lui dit « mais comment tu sais ? » – raisonnement séquentiel – « ben j’en sais rien comment je le sais ». « Mais alors, tu m’as toujours dit que tu étais nulle en histoire, comment tu peux être sûre que c’est ça ? ». «Et bien en effet, je ne sais pas », il perd ses moyens, et en fait il avait raison. Parce qu’il a cette connaissance intuitive, sans savoir d’où elle vient, et on a tous des connaissances comme ça.

Donc c’est ça qui va être vraiment la grande différence. De là vont résulter finalement tout un ensemble de caractéristiques, avec des sens plus aiguisés, une plus grande sensibilité, voire de l’hypersensibilité.

Ce que l’on trouve souvent aussi sans vraiment pouvoir le lier directement, c’est un sens des valeurs. Ce sont des gens qui fondamentalement sont très humains, sont très conscients du bien et du mal, se posent tout un tas de questions notamment métaphysiques sur le sens de la vie, et de la leur en particulier. Avec des gens qui vous disent « c’est ça la vie ? Mais ce n’est pas intéressant si c’est que ça ! » Eh bien oui… Un tas de questionnement en permanence, avec souvent un humour au deuxième degré, voire au troisième ou au quatrième degré. Ce sont des gens qui accordent une très grande importance au sens des mots, par exemple vous leur dites un truc c’est pris au pied de la lettre, ce qui a l’école va poser des problèmes parce qu’ils ne vont pas savoir fondamentalement interpréter le non-dit ou la consigne implicite. Alors tout ça peut s’apprendre, c’est pas du cent pour cent à chaque fois. Et puis vraiment des gens qui sont très attachés à ce qui est juste et injuste, le sens de l’injustice.

Planète-Douance : j’ai une question qui me vient madame Millêtre : quels seraient vos conseils pour utiliser ces différences ?

Béatrice Millêtre : déjà il faut en avoir connaissance, il faut en avoir conscience. Souvent, la grosse problématique c’est que, depuis que les gens sont tous petits, en gros on leur dit « tout ce que vous faites, ce n’est pas comme ça qu’il faut faire ». Ce n’est pas dit spontanément comme cela, mais c’est ce qui ressort. Eux, ils ont envie de fonctionner d’une manière, et on leur dit non ce n’est pas ça, il faut faire à l’opposé, aux antipodes. Et donc depuis tout petit on leur tape sur la tête en disant « non c’est pas ça, c’est pas ça, c’est pas ça, c’est pas ça ». Donc il y en a certains qui arrivent à s’adapter un peu, l’effet caméléon, et d’autres qui ne comprennent rien du tout et qui se sentent vraiment complétement anormaux.

Donc la première des choses c’est d’avoir la conscience qu’ils ne sont pas anormaux : ils sont tout à fait normaux mais différents. Ils sont structurés différemment. Souvent on leur dit « vous ne savez pas vous concentrer », ce qui n’est pas vrai. Ils savent se concentrer, mais c’est une autre concentration. Ils me disent : « mais je ne suis pas structuré ». Ils sont structurés autrement. Il faut vraiment avoir cette conscience qu’ils fonctionnent très bien, qu’ils peuvent fonctionner très bien, mais différemment du plus grand nombre. Donc ça c’est vraiment la première des choses.

Pour apprivoiser leur fonctionnement, le décortiquer, non pas juste en prenant des caractéristiques – on trouve une liste des caractéristiques sur internet, dans un tas de bouquins, avec l’hypersensibilité, avec le sens de l’humour, avec tout ça – vraiment il faut aller plus loin, et chercher en terme de raisonnement intuitif, comment ça fonctionne exactement. Parce que par exemple, à l’école, pour faire votre devoir sur table de philosophie ou d’histoire, ou à l’université, vous lisez votre énoncé, et ensuite vous regardez par la fenêtre pendant un quart d’heure le temps de faire votre petit Archimède, et pendant ce temps les éléments se mettent en place, et au bout d’un quart d’heure, c’est terminé, le sujet il découle tout seul, il n’y a plus rien à faire, ça vient spontanément en tournant de la tête. Et bien cela on l’apprend pas, et même des enfants qui sont dans des écoles pour enfants surdoués – j’en reçois régulièrement – ne savent pas le faire. Vraiment, il faut aller dans ce détail-là, je dirais, dans le quotidien plutôt que dans des listes de caractéristiques. C’est vraiment la chose fondamentale à faire, et après, finalement, tout le reste va presque couler de source.

Planète-Douance : une question connexe, madame Millêtre : quel serait votre conseil pour s’adapter quand on est différent à un système qui a un mode de fonctionnement différent ? Bon, c’est un peu connexe à tout ce que vous venez de dire, mais dans une société qui est différente de son fonctionnement propre, comment faire pour être en adéquation avec ce fonctionnement ?

Béatrice Millêtre : déjà il faut avoir conscience que votre fonctionnement il est bon, ça c’est vraiment la première des choses. Le système, ils ont beau être plus nombreux, j’ai envie de dire entre guillemets : « ils ont tort, ils ont tous tort ». Parce que le sur-marketing, la surconsommation, le sur-machin, le matraquage publicitaire, le système dans sa globalité a tort aujourd’hui. Je me place d’un point de vue de bien-être psychologique bien sûr, je ne me place pas du tout en gourou, ce n’est pas ma posture. Non, je me place en sur le plan du bien-être psychologique et des principes qui conduisent à aller bien.

Donc quand on a des valeurs, qu’on est quelqu’un d’humain, quelqu’un d’empathique, avec de la compassion, là on a raison. Là, déjà on peut se dire : « moi j’ai raison, le système a tort ». Ça c’est la première chose pour permettre d’aller bien. Ce n’est pas pour autant qu’on va vouloir changer le système, mais encore une fois en avoir conscience est fondamental pour ensuite se dire « et bien j’assume qui je suis, et j’y vais, entre guillemets, un peu brut de fonderie ». « J’y vais, sans essayer de transiger, de mettre des trucs, des ponts, des passerelles, des bazars ».

Assumer, cela ne veut pas dire d’y aller avec des gros drapeaux en disant « hey les gars, moi je suis surdoué, tant pis pour vous venez me chercher ! », ce n’est pas ça du tout. C’est dire « j’ai conscience qu’il y a moi, j’ai raison, les autres ils ont raison aussi, et puis comment on va faire pour être tous ensemble ? ». « Et bien je ne vais pas aliéner ma personnalité, je vais être moi-même, et dans le boulot je vais dire : eh bien oui, j’ai plein d’idées qui me tombent de la tête, c’est comme ça, tu me connais mon chef, tu sais que c’est comme ça, tu sais que ça fonctionne bien, et donc on peut y aller en bonne conscience et en confiance tous les deux ». Et là, ça change la vie. Vraiment, la clé fondamentale c’est d’assumer, non pas de se brider, et d’y aller en étant libéré spontanément. Dans ce cas-là, vous ne cherchez pas à écraser les autres non plus, et vous êtes capables d’en tenir compte.

Planète-Douance : madame Millêtre, quand vous rencontrez des familles d’enfants surdoués, et des enfants surdoués, je suppose, quels sont vos conseils ?

Béatrice Millêtre : le conseil, déjà, c’est de décortiquer le fonctionnement de ces enfants et de l’expliciter aux familles, pour leur dire que tout ce que fait leur enfant n’est pas justement fait exprès pour casser les pieds. Parce que quand vous avez un enfant qui pose des questions tout le temps parce qu’il a besoin de sens, qu’il a besoin de comprendre pourquoi on lui dit que c’est l’heure d’aller se coucher – « oui mais pourquoi ? », « Et pourquoi ? », « Et pourquoi ? » – qui fait son travail différemment, qui fait son devoir en se levant, en ne tenant pas en place, on vous dit de suite qu’il est hyperactif. Mais non il n’est pas hyperactif, il a juste besoin de faire autre chose pour apprendre ses leçons, pour aboutir son raisonnement, pour consolider la trace mnésique de la poésie qu’il est en train d’apprendre. C’est complètement autre chose, et si on essaye de le brider dans la direction du plus grand nombre, de le normaliser, cela ne fonctionne pas. Donc ça c’est la première des choses : vraiment expliciter tout ça, l’expliquer, si l’enfant n’est pas trop petit bien sûr. Lui expliquer son fonctionnement, en général on y arrive très bien, ils en ont bien conscience.
Et puis mettre les parents à contribution pour aller voir avec les instits comment on peut faire pour trouver un terrain d’entente avec tout le monde. Alors il y a des instits qui sont très preneurs de conseils, il y en a d’autres qui ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils n’ont pas le temps, ils ne veulent pas, enfin c’est leur nature. Mais on peut quand même faire des choses. On peut, par exemple, approfondir. Approfondir, c’est fondamental pour ces enfants. Par exemple, ne pas se contenter juste du cours sur la préhistoire, de ce que la maîtresse a dit, l’emmener voir une exposition, lui montrer un documentaire, lui faire fabrique une hutte préhistorique, utiliser des silex, etc. On trouve aujourd’hui sur internet tout un tas de conseils là-dessus pour ouvrir l’esprit. Ça c’est fondamental, il faut ouvrir l’esprit de ces enfants-là, et pas de les laisser dans leur coin à rien faire. On peut ensuite mettre ça à profit, par exemple pour la leçon de préhistoire, et apporter à l’école un silex que vous avez fabriqué, montrer comment cela fonctionne, apporter un petit journal pour le montrer à la maîtresse. Les maîtresses sont souvent d’accord avec cette démarche, et on contourne ainsi l’obstacle qui est de dire « non, moi je n’ai pas le temps de m’occuper en particulier d’un enfant unique dans ma classe ».
C’est aussi inviter des copains, parce qu’ils se sentent peut-être un peu décalés. Les parents me disent « non, je n’invite personne, parce que vous savez, machin… ». Et bien non, invitez les copains, pour son anniversaire, pour n’importe quoi, faites exprès d’en inviter plein pour qu’ils ne se sentent pas isolés. Ce sont des petits trucs rapides mais qui marchent très bien avec les enfants justement.

Planète-Douance : madame Millêtre, au niveau des relations aux autres d’enfants surdoués, qu’est-ce que vous leur conseillerez ? Qu’elle serait la stratégie qu’ils pourraient mettre en place pour avoir des amis qu’ils considéreraient fiables ?

Béatrice Millêtre : la question qui se pose souvent, c’est qu’ils attendent des autres qu’ils aient les mêmes comportements, les mêmes attitudes. Que si, par exemple, à un moment donné vous prêtez 100 € à un copain, et bien ils s’attendent à ce que le copain, sans même que vous ayez besoin de le dire un jour, vous prêtes 100 € parce que vous avez dit je suis dans la mouise. Et bien cela ne marche pas, il ne faut pas attendre des autres qu’ils fassent ce que nous on ferait à ce moment-là, ou ce que eux feraient. Voilà déjà le premier conseil.

Ensuite c’est de leur faire comprendre qu’il est très rare de trouver des gens qui vont combler toutes leurs attentes. Une seule personne ne va pas combler toutes leurs attentes, ou avoir exactement les mêmes centres d’intérêt. Parce que quand l’on s’intéresse à tout plein de choses, vous pouvez avoir quelqu’un d’autre qui s’intéresse à tout plein de choses, mais ce n’est pas forcément les mêmes. Le deuxième conseil que l’on peut donc donner, c’est de leur dire : « vous allez sérier un peu vos amis, avoir des copains, alors peut-être pas des amis, des copains de karaté, des copains de théâtre, des copains de musique, des copains de ci, des copains de ça, déjà pour ne pas être isolé. Et puis, au-dessus de ça, vous aurez un ou deux amis avec qui vous pourrez tout partager. Mais vous n’aurez pas dix amis avec qui vous faites tout ». Il est vraiment très important d’apprendre que ce n’est pas un problème d’avoir des amis de ci, des amis de ça, des amis d’autre chose, et qu’ainsi on n’est pas tout seul, on n’est pas isolé, finalement.

Planète-Douance : une grande question, madame Millêtre, que je rencontre en côtoyant des surdoués, c’est : comment faire pour vivre le mieux possible son hypersensibilité ?

Béatrice Millêtre : vaste question effectivement. L’hypersensibilité, c’est déjà par rapport à vous-même et c’est aussi relié à la question de l’empathie par rapport aux autres finalement. Donc, l’hypersensibilité ? Déjà avoir conscience – c’est souvent une question de conscience finalement –que déjà ce n’est pas un handicap, et que c’est quelque chose de très beau qui vous permet, au contraire, de laisser parler votre petite voix intérieure, cette voix qui est l’intuition comme on le disait tout à l’heure. Et c’est vraiment aussi le chemin de l’intuition : vous vous écoutez à ce moment-là, mais dans le bon sens du terme. Dans notre société on n’a pas de vocabulaire pour dire « je tiens compte de moi ». On a égoïste, égocentrique, narcissique ou je ne sais pas quoi, mais ce n’est pas ça. C’est « je m’écoute », dans le bon sens du terme, pour être bien avec moi-même et bien avec les autres. Et donc l’hypersensibilité, ça peut permettre cela, si on arrive à le percevoir de cette façon-là. C’est la première chose.

La deuxième chose, c’est se dire que l’on peut aussi canaliser l’hypersensibilité en tirant partie d’un aspect plus rationnel. Par exemple, je me souviens d’une dame qui me disais : « dans le métro c’est épouvantable parce que je perçois les émotions de tout le monde, et puis chaque fois que je suis dans le métro, il y a quelqu’un qui sent que je suis là, que je suis disponible, et qui vient me raconter tous ses malheurs. Je n’en peux plus, c’est épouvantable ». Et bien à partir du moment où on se dit « mon objectif, dans le métro, c’est qu’on me fiche la paix », à ce moment-là vous prenez un bouquin, vous fermez les écoutilles, et l’hypersensibilité va être canalisée. Les gens, vous ne les entendez plus, vous ne les percevez plus. On peut aussi, effectivement, en focalisant sur le but du jeu que l’on se fixe, fermer la porte à cette hypersensibilité, mieux le vivre. Alors il ne faut pas non plus tomber dans l’effet inverse que l’on observe régulièrement : des gens qui ne ressentent plus, qui n’ont plus aucune émotion parce qu’ils l’ont enfermée pour ne pas souffrir. Il faut trouver le juste milieu là-dessus.

Planète-Douance : madame Millêtre, une dernière question peut-être, au niveau de la quête de sens que recherche beaucoup de surdoués. Pourquoi cette recherche de quête de sens ?

Béatrice Millêtre : déjà, j’ai envie de vous répondre que c’est une question très humaine et que, quelque part, tout le monde devrait se poser finalement, et que d’ailleurs beaucoup de gens se posent. Mais effectivement plus les surdoués peut-être que les autres. La question du sens est fondamentale, parce que, encore une fois, un surdoué a besoin de savoir pourquoi il fait les choses, de comprendre avant d’être capable de réaliser un travail, de réaliser une tache. Donc la quête de sens s’inscrit dans ce contexte-là.
Ensuite, effectivement, je ne vais pas vous dire « j’ai la réponse à quête de sens, de la vie, et de ce que fait un être humain sur terre », mais on peut trouver la réponse au sens de sa vie personnelle. C’est très propre à chacun. Vous avez des gens pour qui le sens de la vie c’est de transmettre. Par exemple, je vois une personne qui est institutrice, enseignante, et pour elle c’est vraiment une vocation. Elle transmet aux enfants, mais elle ne transmet pas uniquement des connaissances, elle transmet des valeurs, des manières d’être, et c’est quelqu’un d’extraordinaire qui ne jamais perdra un enfant en route dans ses classes. Vous en avez d’autres pour qui le sens de leur vie va être la découverte, donc ils vont partir dans un autre pays, mais pas uniquement pour une quête égoïste, mais pour découvrir et ensuite partager avec d’autres personnes.

Donc je crois que le sens de sa propre vie, on peut le trouver si l’on arrive à un peu réduire la question, sans y donner obligatoirement un sens métaphysique. Je me souviens d’une dame qui tenait des bijouteries, et qui un jour s’est dit « mais cela n’a aucun sens parce que je n’ai plus le temps de m’occuper de mes enfants ». Elle a démissionné. Elle tenait une franchise, elle a vendu sa boutique, et maintenant elle fait des ménages et elle fait des habits qu’elle vend sur internet. Ça lui donne le temps de s’occuper de ses enfants, et une qualité de vie qui n’est peut-être pas la même mais suffisante pour avoir la vie qui lui convient. C’est ça finalement, le sens de sa propre vie, sortir aussi des lieux communs, des poncifs, des « oui il faut faire ça, il faut faire ci », il faut sortir des « il faut, je dois » pour se recentrer sur soi-même et se poser la question : « qu’est-ce qui est important pour moi ? ». Avec peut-être moins d’ambition mais plus de profondeur.

Planète-Douance : madame Millêtre, pour terminer, si vous avez un vœu pieu pour les surdoués, quel serait-il ?

Béatrice Millêtre : j’allais vous dire : qu’ils soient reconnus comme tel, mais ce n’est même pas la question. Je prends souvent l’exemple des droitiers et des gauchers, et de la latéralité manuelle. Il y a cent ans, les gauchers n’avaient pas le droit d’exister, on leur attachait même la main dans le dos pour écrire de la main droite. Aujourd’hui, tout le monde s’en fiche. Vous êtes gaucher, vous êtes droitier, cela ne pose plus de problème à personne. Je crois que c’est à ça qu’il faut arriver. Avoir conscience qu’il existe des gens comme-ci, des gens comme ça, et que l’on puisse tous vivre en bonne intelligence, simplement parce que l’on a conscience que l’on peut aboutir à un raisonnement de mille et une façons différentes, et que cela ne pose de problème à personne. Et que, à ce moment-là, on n’a pas besoin de se dire « moi, je suis anormal parce que je suis un gaucher, je suis anormal parce que je suis un surdoué. Non, je suis normal, mais différent ». Avec forcément une adaptation plus grande de la part des surdoués comme d’un gaucher : il est obligé de s’adapter parce qu’il ne trouvera pas des ciseaux à sa main partout. Mais ce n’est pas grave, à partir du moment où on le sait, ça change la vie, et il n’y a plus de question. Je crois que c’est à ça qu’il faut arriver. Et on y arrivera. On est en passe de le faire de toute façon. On y arrivera.

Planète-Douance : Béatrice Millêtre, merci beaucoup.

Béatrice Millêtre : je vous en prie, c’était un plaisir.

—–Businesstoday

Site français qui donne la parole aux dirigeants d’entreprises, aussi bien à ceux du CAC40, que ceux de startups et de sociétés qui innovent, Businesstoday.fr vous renseigne sur l’activité économique en France.

Si vous avez aimé la lecture de cet article, merci de prendre le temps de laisser un commentaire ou de le partager sur les réseaux sociaux. Vous pouvez aussi vous inscrire au flux RSS pour être sûr de ne pas manquer nos nouveaux articles.
HarpoInterviews de spécialistes du Haut PotentielBéatrice Millêtre,Businesstoday,Businesstoday.fr,douance,haut potentiel,petit guide à l’usage des parents qui trouvent que leurs enfants sont doués,planète douance,test de QITranscription de l'entretien : Planète-Douance : Béatrice Millêtre, bonjour. Béatrice Millêtre : bonjour. Planète-Douance : Béatrice Millêtre, vous êtes docteur en psychologie, psychothérapeute, vous êtes à l’origine d’un « petit guide à l’usage des parents qui trouvent que leurs enfants sont doués », et vous accompagnez les personnes à haut potentiel. Béatrice Millêtre...Site de presse pour l'information et les échanges de connaissances sur le haut potentiel, le syndrome d’asperger et l’autisme