3 janvier 2023 – La scolarisation des élèves en situation de handicap (ESH) : aller plus loin

Un rapport commun de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et de l’inspection générale des finances (IGF) sur l’école inclusive publié le 7 décembre 2022, invite à reconsidérer la place des assistants des élèves en situation de handicap (ESH)[1]. La FFDys a lu ce rapport et souhaite verser au débat public son analyse, indispensable, si l’on veut éviter une énième occasion ratée de travailler sur cette question importante pour les 7 millions de personnes, enfants et familles, que nous représentons.

Tout d’abord, la lecture de la synthèse de ce rapport nous interroge. Elle précise, en premier lieu, « qu’au regard de sa composition et en l’absence de représentants du corps médical en son sein, la mission ne saurait émettre d’avis en opportunité sur le cadre fixé voici bientôt vingt ans. » C’est effectivement regrettable car sur ce sujet des représentants du corps médical auraient eu toute leur place pour éclairer les rapporteurs sur ces troubles cognitifs ! On relève ensuite « qu’à l’issue de déplacements dans vingt-et-un départements, la mission note que le recours à l’aide humaine est devenu le principal moyen de compensation du handicap.  » Pour la FFDys, cela ne reflète pas la réalité du terrain et si nous nous appuyons sur les statistiques des MDPH, établies par la CNSA [2], nous notons que « Trois-quarts des demandes concernent l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et le parcours scolaire et de formation des enfants en situation de handicap. » Par ailleurs, les montants attribués par la prestation de compensation handicap (PCH), montrent que les dépenses concernent principalement l’aménagement des logements.

L’utilisation limitée des autres ressources disponibles, en particulier le matériel pédagogique adapté, est aussi pointée par les rapporteurs. Il faut savoir que le plus grand nombre des élèves Dys relèvent d’un plan d’accompagnement personnalisé (PAP) et que dans ce cadre, ils n’utilisent pas souvent d’aides techniques. Lorsqu’ils sont équipés d’un ordinateur, il est financé sur fonds propres. Pour les élèves qui disposent de matériel adapté dans le cadre d’un plan de compensation, on constate que les délais entre la demande initiale et l’obtention du matériel sont en moyenne de 18 mois et que le matériel octroyé ne correspond pas toujours aux besoins et aux usages [3]. Par ailleurs, Dans le système scolaire français, un accompagnement à la prise en main de ces outils est très rarement proposé. Quand c’est le cas, cette aide est apportée en dehors de l’établissement et est prise en charge principalement par les familles [4], ce qui pourrait expliquer que le principal motif de demande de compensation soit l’aide humaine.

Les rapporteurs relèvent également le besoin de formation des enseignants en matière d’accessibilité pédagogique et de didactique. La FFDys partage ce constat, qu’elle fait d’ailleurs depuis des années et qu’elle élargit à tous les enseignants qui ont un grand besoin de formation sur les signes de repérage des difficultés d’apprentissage et sur l’adaptation des parcours de scolarisation pour accueillir tous les élèves et notamment ceux avec des besoins particuliers.

Pour beaucoup d’apprenants avec des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, l’accès au savoir pourrait être facilité par des adaptations pédagogiques et par une accessibilisation des supports. Dans tous les cas, la différenciation pédagogique et une évaluation inclusive telles qu’elles sont prônées par le ministère de l’Éducation nationale, mais malheureusement rarement mises en place, permettraient au plus grand nombre des élèves de suivre leur cursus scolaire en milieu ordinaire. Les AESH devraient alors avoir, dans ce cadre, un rôle d’accompagnants dans la mise en œuvre de ces adaptations et ne plus être, comme c’est trop souvent le cas, les seules personnes sur lesquelles repose le poids de l’adaptation de la scolarisation des élèves en situation de handicap.

La FFDys adhère donc pleinement à la proposition de la mission : « S’assurer que chaque académie développe une offre de formation continue répondant de façon réactive à l’échelle locale aux besoins des équipes de terrain (enseignants, directeurs d’écoles, chefs d’établissements, coordonnateurs de PIAL, inspecteurs). » Nous complétons en insistant sur la nécessité de rendre cette formation obligatoire d’une part et de l’étendre d’autre part aux autres membres de l’équipe éducatives, comme aux hauts fonctionnaires de l’éducation nationale. Si des modules de bases dans une formation commune AESH-enseignant peut être une bonne idée, la formation des enseignants, en tant que pédagogues et éducateurs au service de la réussite de tous les élèves, devra s’orienter rapidement vers des notions spécifiques métier. Il est important de souligner que dans le cadre de la Stratégie nationale autisme et Troubles du Neuro-Développement 2018-2022, la Haute Autorité de Santé préconise le développement de la formation des professionnels aux troubles dys (soignants comme enseignants).

La mission note que « Dans certains cas, l’accompagnement humain pourrait être perçu comme un moyen de compenser une forme de précarité sociale qui s’étend au-delà de la seule reconnaissance du handicap. », sans pour autant étayer son propos. La prévalence du handicap serait liée à la catégorie sociale professionnelle à laquelle on appartient ou au revenu du ménage… Cette appréciation reste à l’état de supputation et ne peut pas servir d’argument car elle aurait dû être démontrée et soutenue par des chiffres précis.

La remise en cause de l’analyse des besoins de l’élève par l’équipe pluridisciplinaire de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) et de l’élaboration du plan de compensation, constitue une véritable préoccupation pour la FFDys. C’est notamment le cas, lorsque la mission suggère « que les notifications d’aide humaine des MDPH cessent de mentionner le caractère individuel ou mutualisé de l’accompagnement. L’objectif ainsi poursuivi est celui d’un rééquilibrage entre compensation et accessibilité au profit de la seconde, considérant qu’il pourrait être de la compétence de l’éducation nationale, au titre du service public dont elle a la charge, de définir la nature de l’accompagnement requis pour garantir l’égal accès à celui-ci.  »Pour les rapporteurs, la compensation du handicap ne semble pas fondée médicalement et devrait être dispensée par le ministère de l’éducation nationale. Pourtant, dans l’introduction de la synthèse, la mission soulignait qu’elle n’était pas compétente d’un point de vue médical et qu’elle était bien consciente de la profonde méconnaissance du handicap des personnels de l’éducation nationale. De même, elle poursuit en s’interrogeant sur la pertinence d’une « réorientation des missions des MDPH sur la seule reconnaissance du handicap, charge ensuite à l’éducation nationale de mettre en œuvre les moyens permettant l’accès effectif au service public de l’éducation considérant que l’organisation et la gestion de celui-ci constituent une compétence de principe reconnue à l’État. » Puis, « Dans ce schéma, l’aide humaine ne serait plus prescrite par la MDPH mais constituerait simplement l’une des mesures à la disposition de l’éducation nationale pour permettre l’accès au service public de l’éducation. »

Cette proposition est en contradiction avec les textes réglementaires fixant d’une part la mission de l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH [5] : « évaluer les besoins de compensation de la personne handicapée sur la base de son projet de vie et de référentiels nationaux » et d’autre part le rôle de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées : « prendre les décisions relatives à l’ensemble des droits de la personne handicapée sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire et du plan de compensation proposé ».

Pour la FFDys, les citations en page 5 du rapport, sont encore plus préoccupantes. En effet, la définition même de handicap cognitif, telle que définie par la loi de 2005, est remise en question par les rapporteurs : « La plasticité de la notion de handicap conduit à y faire entrer des troubles qui n’en relevaient pas jusqu’alors ou à considérer comme des handicaps certaines altérations non unanimement reconnues ainsi. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005, les hausses du nombre d’ESH sont les plus élevées au sein des publics atteints de « troubles intellectuels ou cognitifs » – ce qui englobe les troubles du comportement et les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) – et de « troubles du langage ou de la parole », qui incluent les « dys » (dysphasie, dyspraxie, dyscalculie, dyslexie). Le rapport de 2018 précité estimait déjà en 2018 qu’ils constituaient des troubles « interrogeant les frontières entre le médical, le social et l’éducatif ». S’agissant des « dys », le document qualifiait même de « poreuse » la «frontière» entre « la situation de handicap et la simple difficulté scolaire remédiable ».

Il convient ici de rappeler que les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (dits troubles Dys) ainsi que les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont des handicaps, reconnus comme tels depuis 2005. La classification internationale du fonctionnement (CIF) [6]et le comité scientifique de la FFDys permettent de confirmer que les troubles « Dys » sont bien durables dans le temps. Il apparaît donc, que les commentaires de la mission formulés ainsi constituent une régression au regard du plan langage de 2001 et de la loi du 11 février 2005. Ils sont également en contradiction avec la Haute Autorité de Santé qui considère dans son dossier de presse du 31 janvier 2018 [7] que les troubles Dys constituent une priorité de santé publique.

La mission propose aussi un calendrier annuel de gestion des demandes et de mise en œuvre des notifications. Là encore, force est de constater la méconnaissance de la mission en matière de handicap. Quand on voit qu’il faut des mois pour constituer un dossier MDPH et avoir une décision, ajouter un calendrier de mise en œuvre apparaît comme irréalisable et fait bien peu cas du jeune en souffrance et de sa famille.

Enfin, les rapporteurs s’interrogent sur le risque que ferait porter l’accompagnement sur le développement de l’autonomie de l’ESH. La prise en compte des compétences et des limitations de chaque individu doit être au centre des préoccupations, mais cela ne doit pas être l’unique enjeu de l’accompagnement. Une personne peut être dépendante et autonome à la fois. Par ailleurs, au regard du faible nombre d’heures d’accompagnement attribuées aux ESH, ce rapport à l’autonomie ne peut être remis en cause. Au contraire, par la mise en place de rituels que l’ESH ne peut acquérir par lui-même, l’aide humaine apparaît comme un gage de sa future autonomie. La FFDys ne partage donc absolument pas cette inquiétude et rejette cet argument qui s’appuie sur une vision « validiste » portée par des personnes qui méconnaissent les situations de handicap auxquelles sont confrontés les ESH. On rappelle que l’éducation nationale, elle-même, définit le rôle des AESH ainsi : « Les personnels accompagnants assurent des missions d’aide aux élèves en situation de handicap. Ainsi, sous la responsabilité pédagogique des enseignants, ils ont vocation à favoriser l’autonomie de l’élève, sans se substituer à lui dans la mesure du possible. »

La FFDys craint que ce rapport ne soit uniquement motivé par la seule diminution du coût de l’accompagnement, dans le mépris le plus total des droits et des besoins de ESH. Parmi ces besoins, figure les AESH, qui par conséquent ne peuvent pas être systématiquement mutualisées et dont la qualité de la formation et du recrutement doit s’intensifier. La FFDys rappelle dans ce cadre les dysfonctionnements au sein des Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisés (Pials) qui se sont centrés, dans certaines académies, sur la rentabilisation de l’accompagnement des élèves en situation de handicap par une mutualisation accrue qui s’est faite aux dépens des élèves qui disposent de moins d’heures d’accompagnement individuel.

Plus la mise en place des aménagements pédagogiques et d’un accompagnement par une aide humaine est tardive, plus la perte de chance pour réussir sa scolarité est importante.

À l’heure où le gouvernement affiche une volonté, que nous croyons sincère, de permettre à un plus grand nombre d’ESH de poursuivre une scolarité en milieu ordinaire, ce que nous appelons de nos vœux depuis des années, il est inquiétant de lire un rapport en contradiction avec les engagements pris dans le cadre de la Stratégie nationale autisme et Troubles du Neuro-Développement 2018-2022, soit:
• Remettre la science au cœur de la politique publique.
• Intervenir précocement auprès des enfants présentant des écarts inhabituels de développement.
• Rattraper le retard en matière de scolarisation.
• Soutenir la pleine citoyenneté des adultes.
• Soutenir les familles et reconnaître leur expertise.

[1] https://www.education.gouv.fr/la-scolarisation-des-enfants-en-situation-de-handicap-343648
[2] CNSA, les chiffres clés de l’aide à l’autonomie 2021
[3] https://handicap.gouv.fr/rapport-denormandie-chevalier-des-aides-techniques-pour-lautonomie-des-personnes-en-situation-de
[4] La prise en charge en ergothérapie n’est pas remboursée par l’assurance-maladie, sauf si les interventions ont lieu en milieu hospitalier ou spécialisé.
[5] https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/agences-et-operateurs/article/mdph-maisons-departementales-des-personnes-handicapees
[6] https://www.ffdys.com/actualites/contribution-du-comite-scientifique-de-la-ffdys-a-la-definition-des-troubles-specifiques-du-langage-et-des-apprentissages-tsla-ou-troubles-dys.htm
[7] https://www.has-sante.fr/jcms/c_2824177/fr/troubles-dys-comment-mieux-organiser-le-parcours-de-sante

Nos principales remarques sont les suivantes : 

1- Le rapport remet en cause plusieurs textes réglementaires et scientifiques : la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la classification internationale du fonctionnement (la CIF) et les recommandations de la Haute Autorité de Santé pour les personnes porteuses de troubles troubles du langage et des apprentissages  (dits « Dys ») . La FFDys pense que si l’on ne reconnaît pas les spécificités et les besoins des personnes porteuses de troubles Dys, aucune aide adéquate ne peut  leur être proposée ! !

2– Le rapport affirme qu’il y a  une surreprésentation des notifications des AESH. Pourtant aucune statistique concernant les personnes Dys, n’est publiée, notamment pour tous les élèves qui bénéficient d’un plan d’accompagnement personnalisé (PAP). Quelle est alors la situation réelle de la prise en charge des Dys à l’école ? Par rapport au nombre de PPS, combien de PAP accordés depuis la création de ce dispositif en 2015 ?

3– Le rapport souligne la nécessité d’une formation des enseignants en matière d’accessibilité pédagogique  et des formations communes AESH – enseignant. La FFDys y est favorable et rappelle que plus la mise en place des aménagements pédagogiques et d’un accompagnement par une aide humaine est tardive, plus la perte de chance pour réussir sa scolarité est importante. La FFDys fait le vœu que la formation soit la priorité d’une prochaine stratégie nationale.

EN SAVOIR PLUS :
« Contribution dans le cadre d’une mission relative à la scolarisation des élèves en situation de handicap IGF –IGESR sur les AESH »

Rédigée par le pôle scolarité de la FFDys, coordonné par Laetitia Branciardvice-présidente de la FFDys.
Cliquer ICI pour télécharger cette contribution.

À propos des troubles DYS
Les troubles des apprentissages, souvent appelés « troubles Dys » sont des troubles cognitifs spécifiques qui affectent le langage oral (dysphasies) le langage écrit (dyslexies) la coordination du geste et les troubles visuo spatiaux (dyspraxies/TDC) ou encore de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

À propos de la FFDys
La FFDYS regroupe 7 associations et leurs antennes (150) sur le territoire, dédiées aux troubles spécifiques du langage et des apprentissages, en particulier la dyslexie, la dysphasie, la dyspraxie.
La FFDys siège au CNCPH (Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées) et la CNSA.
La Fédération est membre de l’European Dyslexia Association (40 organisations dans 24 pays en Europe).
Composée de bénévoles, la FFDYS agit depuis près de 20 ans pour faire connaître et reconnaître les troubles DYS, avec pour objectif d’améliorer la prise en charge et l’insertion scolaire et professionnelle des enfants et adultes. Appuyée par un comité scientifique composé de chercheurs, de praticiens et d’experts de l’Éducation et de la Santé, la Fédération est l’interlocuteur reconnu par les pouvoirs publics, a permis d’importantes avancées pour la reconnaissance et la prise en charge des troubles cognitifs.
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